La culture, le patrimoine culturel et la créativité forment les bases de sociétés pluralistes dynamiques, inclusives, innovantes et prospères. Même si elle a été absente des Objectifs du Millénaire pour le Développement, la culture s’est progressivement frayé un chemin parmi les cercles de réflexion, à divers niveaux, sur les enjeux et les leviers du développement durable. En effet, valoriser le patrimoine et la diversité des expressions culturelles permet d’ouvrir un champ d’expérimentation pour inventer une nouvelle culture du développement. Ces expressions se sont révélées indispensables pour les sociétés humaines lors de la crise mondiale causée par la pandémie de la Covid-19. Pour cela, certains pays ont mis en place des mesures financières pour soutenir les acteurs de la culture à travers la création de fonds pour relancer la culture ou le lancement d’appels à projets culturels et artistiques adaptés au contexte de la crise sanitaire. Ainsi, la culture devient de plus en plus un moteur de développement transversal et dynamique.
La culture est l’un des cinq domaines qui composent le mandat de l’UNESCO en tant qu’agence spécialisée du système des Nations unies [1]. Les nombreuses décennies de réflexion, de pratique et d’analyse portées par l’organisation dans ce domaine ont forgé une approche selon laquelle la culture peut être considérée comme les caractéristiques diverses d’une société ou d’un groupe social, ceci allant du patrimoine culturel matériel et immatériel reflétant la diversité du monde aux expressions culturelles et créatives contemporaines, qui constituent des sources d’identité et de cohésion pour les communautés. Le patrimoine culturel et la créativité forment les bases de sociétés pluralistes dynamiques, inclusives, innovantes et prospères.
Le cadre normatif développé par l’UNESCO depuis sa création a pour objectif de nourrir cette approche et de la faire évoluer, aussi bien à l’échelle internationale que nationale ou locale, afin de situer la juste place de la culture dans la société, en tant que vecteur de développement et facteur majeur de cohésion sociale. Ce cadre permet également d’établir une plateforme mondiale de coopération et d’échange vers une gouvernance culturelle plus efficace et inclusive, fondée sur les droits de l’homme et la promotion de la diversité culturelle. Les conventions, recommandations et déclarations de l’UNESCO, qui constituent ce cadre normatif, sont en outre des indicateurs universels quant à l’évolution des approches et des pratiques en matière de patrimonialisation et donc de sauvegarde du patrimoine, sous toutes ses formes. Ils favorisent en outre la création d’outils juridiques et institutionnels censés appuyer ce processus permettant de préserver la mémoire collective partagée et offrent donc des données fiables susceptibles d’améliorer les politiques publiques consacrées à la culture.
L’adoption par l’assemblée générale des Nations unies, il y a une décennie, d’une résolution actant la reconnaissance du rôle de la culture dans le développement humain, a été un fait marquant pour tous les acteurs institutionnels et de la société civile qui plaidaient depuis de nombreuses années pour une telle reconnaissance.
Absente des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), la culture s’est progressivement frayé un chemin parmi les cercles de réflexion, à divers niveaux, sur les enjeux et les leviers du développement durable. Bien que cette progression n’ait pas abouti à une reconnaissance permettant de considérer la culture comme le quatrième pilier du développement durable, au même titre que le social, l’économique et l’environnemental, le changement a été suffisamment important pour que la culture soit explicitement intégrée dans les objectifs relatifs au programme de développement durable à l’horizon de 2030, adopté en septembre 2015. Outre le fait que la culture soit une composante que l’on retrouve dans la quasi-totalité des Objectifs de Développement Durable (ODD), une cible spécifique lui est dédiée dans l’ODD 11 qui est de « faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables ». En effet, la cible 4 de l’ODD 11 stipule que les États membres de l’ONU doivent s’engager à « renforcer les efforts de protection et de préservation du patrimoine culturel et naturel mondial ». Cette phrase à elle seule traduit l’évolution majeure quant à la perception de la culture et de son rôle dans l’évolution des sociétés.
La culture a été intégrée au Nouveau Programme pour les villes, adopté lors de la troisième Conférence des Nations unies sur le logement et le développement urbain durable
C’est dans la continuité de cette reconnaissance que la culture a été intégrée au Nouveau Programme pour les villes, adopté lors de la troisième Conférence des Nations unies sur le logement et le développement urbain durable (Habitat iii), en octobre 2016. Dans un monde de plus en plus urbanisé, où plus de la moitié de l’humanité vit dans un environnement urbain, avec la perspective de voir 70 % des 9,5 milliards d’êtres humains qui peupleront la planète en 2050 habiter des villes, le rôle de la culture est plus que jamais crucial. Le rapport mondial 2018 de l’UNESCO sur l’économie créative montre que la culture représente 6,1 % de l’économie mondiale avec un poids de 4 300 milliards de dollars. Les industries créatives génèrent 30 millions d’emplois dans le monde et la culture s’impose comme le premier secteur économique offrant des opportunités d’emploi pour les jeunes âgés de 15 à 29 ans.
L’environnement urbain est donc, pour des milliards de personnes, un cadre de vie en perpétuelle mutation qui abrite la culture dans sa diversité et véhicule une part importante de leur patrimoine, aussi bien matériel qu’immatériel. L’urbanisation qui a suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale ayant été marquée par plusieurs défaillances dont les conséquences sont encore visibles aujourd’hui, l’enjeu du développement durable se situe en grande partie dans l’environnement urbain.
Outre les destructions spectaculaires liées à des conflits ou à des catastrophes naturelles, l’actualité porte sur de nombreux sujets moins sensationnels, mais tout aussi préoccupants. Ceux-ci se retrouvent dans les plans d’aménagement, les projets d’infrastructures d’envergure liés à des thèmes clefs comme le transport ou le logement, ou encore la construction d’édifices ou d’ouvrages d’art jugés comme étant en décalage avec les impératifs de sauvegarde du patrimoine urbain. Les débats que soulèvent ces interventions révèlent un malaise profond quant à la place et au rôle du patrimoine, qu’il est important d’appréhender comme un bien public précieux, face à un développement des villes peu ou mal maîtrisé. Valoriser le patrimoine et la diversité des expressions culturelles permet d’ouvrir un champ d’expérimentation pour inventer une nouvelle culture du développement.
Face à de tels défis, la promotion de la culture et de la sauvegarde du patrimoine urbain sous toutes ses formes ne peut se faire que par une approche holistique qui prend en compte toutes les caractéristiques de l’espace urbain dans leur diversité et leur complexité.
Près de cinquante ans après l’adoption de la Convention du Patrimoine mondial, le patrimoine urbain est la catégorie de biens la plus représentée sur la liste du Patrimoine mondial. Celui-ci regroupe les territoires, réduits ou étendus, où des humains se sont établis et ont évolué en façonnant leur environnement. Le patrimoine urbain inscrit sur la liste du Patrimoine mondial inclut notamment les sites présentés comme des « villes historiques », notion susceptible d’être remise en cause, car aucune ville n’est « intégralement » inscrite sur la liste du Patrimoine mondial (ce sont plutôt des « portions » de villes qui le sont). Par ailleurs, toutes les villes, sans exception, ont une histoire, que celle-ci soit ancienne ou récente, reconnue ou non, mise en valeur ou pas. Le patrimoine urbain intègre également les « entités urbaines » autres que les villes et les « biens dans un contexte urbain » (monuments ou ensembles, au sens de la définition de l’article 1 de la Convention du Patrimoine mondial). Le patrimoine urbain englobe donc les édifices, groupes de bâtiments ou lieux (formés d’espaces simples ou complexes). Il se caractérise par le fait d’être encore occupé, utilisé (directement ou indirectement, avec sa fonction d’origine ou pas), habité et donc d’être susceptible d’évoluer.
Valoriser le patrimoine et la diversité des expressions culturelles permet d’ouvrir un champ d’expérimentation pour inventer une nouvelle culture du développement
Une étude de 2015 sur le patrimoine urbain dans le contexte de la Convention du Patrimoine mondial a confirmé les tendances observées depuis de nombreuses années quant à l’importance des enjeux liés à la conservation de ce patrimoine inscrit sur la liste du Patrimoine mondial. Cette étude révèle que 421 biens inscrits, soit près de 41 % des 1 031 sites du patrimoine mondial (après la xxxix e session du Comité du Patrimoine mondial, en juillet 2015) et près de 53 % des 802 biens culturels inscrits, sont du patrimoine urbain (188 biens) ou du patrimoine dans un contexte urbain (233). La même étude montre que la gestion de 75 % des sites culturels et mixtes inscrits implique 1 631 établissements humains (villes, communes, villages, territoires, etc.).
Le Comité du Patrimoine mondial examine chaque année l’état de conservation d’un certain nombre de biens inscrits sur la liste du Patrimoine mondial. Le patrimoine urbain, que ce soit sous le titre de « villes historiques » ou « ensembles urbains », présente souvent les cas dont les situations sont les plus complexes et génèrent les discussions les plus engagées. Les rapports sur l’état de conservation de ce patrimoine urbain reflètent de plus en plus fréquemment les difficultés à équilibrer les intérêts d’un développement urbain contemporain et le respect des valeurs culturelles et patrimoniales. Il s’agit, pour l’essentiel, de faire face aux défaillances institutionnelles et de gestion, de maîtriser l’aménagement et la production de grandes infrastructures et édifices urbains, tout en assurant la continuité sociospatiale et en tenant compte de l’identité d’un ensemble urbain, de la place de la culture et de l’esprit du lieu.
Les besoins en termes de sauvegarde du patrimoine urbain sont multiples : protection juridique, instruments de planification urbaine, gestion de l’habitat, aménagement pour le transport, etc. Il est donc essentiel que ces besoins soient pris en compte dans des politiques publiques adaptées et durables. En 2005, la notion d’« impact visuel » soulevée par le cas du centre historique de Vienne a suscité de vifs débats au sein du Comité du Patrimoine mondial et celui-ci a demandé à l’UNESCO d’étudier la possibilité d’élaborer et de faire adopter, par ses organes directeurs, un nouvel instrument normatif permettant de traiter des notions telles qu’« intégrité visuelle » et compléter ainsi l’action de la Convention du Patrimoine mondial. L’UNESCO a donc lancé une réflexion sur la gestion et la sauvegarde, le développement et la valorisation des territoires urbains.
Il en a résulté l’adoption, par la Conférence générale de l’UNESCO, de la recommandation concernant le paysage urbain historique, y compris un glossaire de définitions (Paris, 2011), laquelle [recommandation] était le premier instrument normatif portant sur une problématique culturelle et patrimoniale dans un contexte urbain, adopté par l’UNESCO depuis 35 ans, depuis la recommandation concernant la sauvegarde des ensembles historiques ou traditionnels et leur rôle dans la vie contemporaine (Nairobi, 1976). Cette nouvelle recommandation ne propose pas une nouvelle doctrine en matière de sauvegarde et n’a pas vocation à remplacer les textes existants. Elle tend plutôt à s’inscrire dans leur continuité et à être considérée comme un outil complémentaire, une approche holistique pour promouvoir l’intégration, la prise en compte et la valorisation de la culture et du patrimoine dans les politiques et stratégies de développement, essentiellement mais pas exclusivement dans un contexte urbain. En effet, avec la remise en cause grandissante de la dichotomie urbain/ rural, il est raisonnable de considérer que cette recommandation a vocation à ouvrir le dialogue entre tous les niveaux de gouvernance à l’échelle du territoire, qu’il soit local, régional ou national.
Avec la remise en cause grandissante de la dichotomie urbain/rural, il est raisonnable de considérer que cette recommandation a vocation à ouvrir le dialogue entre tous les niveaux de gouvernance à l’échelle du territoire
La recommandation, par son article 3, considère que « le patrimoine urbain, dans ses éléments matériels et immatériels, constitue une ressource essentielle pour renforcer l’habitabilité des zones urbaines, et favorise le développement économique ainsi que la cohésion sociale dans un environnement mondial en pleine mutation. L’avenir de l’humanité dépendant de la planification et de la gestion efficaces des ressources, la conservation est devenue une stratégie pour parvenir à un équilibre durable entre croissance urbaine et qualité de vie ». L’approche portée par la recommandation relève donc également d’autres instruments normatifs de l’UNESCO, notamment la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (Paris, 2003) et la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (Paris, 2005). C’est cette vision complexe et multiple du patrimoine urbain que l’UNESCO tend à promouvoir, en adéquation avec le Programme de Développement Durable à l’horizon de 2030 et la cible 4 de l’ODD 11 susmentionné.
La recommandation concernant le paysage urbain historique, qui se fonde sur une approche holistique du territoire, est à ce jour le seul instrument récent qui permet d’aborder à la fois la question du patrimoine, de la culture et de l’aménagement des espaces urbains quels qu’ils soient, du plus banal au plus exceptionnel, et ainsi couvrir un champ bien plus large que les territoires d’exception pris en compte par la valeur universelle exceptionnelle des biens inscrit sur la liste du Patrimoine mondial.
La recommandation permet de rappeler le contenu de l’un des éléments clefs d’une mise en œuvre réussie de la Convention du Patrimoine mondial, exprimé notamment à l’article 5.1 de cette dernière, à savoir que les États parties doivent chercher à « adopter une politique générale visant à assigner une fonction au patrimoine culturel et naturel dans la vie collective, et à intégrer la protection de ce patrimoine dans les programmes de planification générale ». La recommandation peut servir de trait d’union entre les différentes conventions de l’UNESCO consacrées à la culture puisqu’elle prône principalement une nouvelle approche du développement centrée sur l’homme, sa culture et la gestion du changement inhérent à son besoin d’évolution.
L’application de l’approche centrée sur le paysage urbain historique encourage le développement de nouvelles politiques et plaide pour une philosophie du développement axée sur le rôle de la culture et du patrimoine. Cette démarche s’appuie sur une conviction quant à la capacité de la culture à être un levier de développement et à encourager la diversité des modèles économiques. Elle repose par ailleurs sur le lien entre les conventions de l’UNESCO liées à la culture et les stratégies visant à une meilleure vie urbaine. Le lien avec les questions fondamentales du changement climatique et de la réduction de la pauvreté est également très étroit.
À ce jour, les activités et projets mis en œuvre pour promouvoir et développer l’application de la recommandation dans les différentes régions du monde ont permis de démontrer la pertinence de l’application de l’approche centrée sur le paysage urbain historique. Celle-ci permet d’apporter des réponses aux problématiques de gestion et de conservation du patrimoine urbain en étant intégrée aux politiques de développement du territoire.
L’application de l’approche centrée sur le paysage urbain historique encourage le développement de nouvelles politiques et plaide pour une philosophie du développement axée sur le rôle de la culture et du patrimoine
Au niveau de la mise en œuvre de la Convention du Patrimoine mondial, l’application de l’approche centrée sur le paysage urbain historique, lors de l’établissement de listes indicatives et de l’élaboration de dossiers de proposition d’inscription de sites relevant du patrimoine urbain sur la liste du Patrimoine mondial, permettrait d’améliorer considérablement la protection, la conservation et la gestion durable de ces sites de valeur universelle exceptionnelle.
Au Maghreb, où se situe un tiers des sites du patrimoine mondial de la région des pays arabes, la moitié des biens inscrits sont des ensembles urbains. La question de leur sauvegarde est donc au cœur des enjeux du développement et de la définition du rôle de la culture dans ce développement. Ces sites inscrits au patrimoine mondial ne représentent qu’une partie des ensembles urbains, qui représentent un spectre très large d’établissements humains, des plus petits villages aux villes les plus peuplées, dont la sauvegarde est un enjeu majeur et grandissant. Car, outre leur valeur patrimoniale, ces lieux abritent de nombreuses industries culturelles et créatives et portent en eux l’expression de la diversité culturelle qui caractérise les pays de cette région. Le fort dynamisme culturel dont font preuve ces ensembles urbains est sans nul doute une base solide sur laquelle l’action culturelle peut s’appuyer, mais ne remplace pas le besoin grandissant de politiques culturelles intégrées et durables.
Une trop grande dépendance du tourisme pour développer le secteur de la culture peut également avoir de graves conséquences en cas de crise, comme cela s’est révélé récemment avec la pandémie
En 2019, une étude régionale sur les politiques culturelles dans les pays arabes a été menée par l’Organisation de la Ligue arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (ALECSO) en contribution à une action globale lancée par l’UNESCO dans le cadre de la préparation du Forum mondial des ministres chargés de la culture (siège de l’UNESCO, novembre 2019). Cette étude révèle un certain nombre de faits tels que la faible contribution directe des industries créatives dans l’économie alors que leur contribution indirecte est plus marquée, notamment via le soutien à l’industrie du tourisme. Cette tendance est elle-même révélatrice d’un intérêt grandissant pour le tourisme dit culturel qui, s’il a permis l’engagement de nombreuses initiatives destinées à intégrer la culture dans les stratégies de développement du tourisme, a pu avoir pour effet de faire de ce dernier le domaine quasi exclusif d’investissement en lien avec la culture. Cela a eu pour conséquence, entre autres, d’orienter les stratégies de sauvegarde du patrimoine et de mise en valeur de l’artisanat selon le prisme du tourisme au risque de créer des phénomènes de gentrification des quartiers dits historiques ou une transformation déséquilibrée des territoires ruraux. Une trop grande dépendance du tourisme pour développer le secteur de la culture peut également avoir de graves conséquences en cas de crise, comme cela s’est révélé récemment avec la pandémie due à la Covid-19 ou lors de crises précédentes (économiques ou dues à des conflits).
Cette étude a également apporté une lecture instructive en termes de gouvernance de la culture, aussi bien pour ce qui est de l’identification des acteurs de la culture que de leur participation à l’élaboration et à l’application des stratégies culturelles. La question du niveau d’intervention est par ailleurs un aspect important, la décentralisation s’imposant comme une question centrale de la mise en œuvre de ces stratégies culturelles, dans le contexte plus global de l’application des mesures prévues dans les politiques publiques. Le rôle des collectivités territoriales est, dès lors, au centre des discussions visant à améliorer l’intégration de la culture dans les actions publiques au niveau local. Enfin, l’étude révèle que, si le nombre de politiques culturelles élaborées et mises en œuvre comme telles reste limité, de nombreuses initiatives et orientations prises en matière d’action culturelle contiennent des éléments favorables à l’adoption future de politiques culturelles efficaces et durables.
Parmi les recommandations de l’étude, il est intéressant de noter que les politiques culturelles que les pays sont encouragés à adopter doivent être explicites et institutionnalisées. Le portage politique dont elles doivent bénéficier est déterminant pour assurer leur pérennité et leur appropriation par l’ensemble des acteurs institutionnels. La déclinaison des politiques culturelles adoptées en programmes et actions précises devrait intégrer le rôle incontournable des collectivités locales dans la mise en œuvre de ces derniers. Les cadres juridiques et intentionnels devraient être adaptés en conséquence pour assurer la pérennité des politiques culturelles et atténuer l’impact des changements politiques qui pourraient les remettre en cause. Les politiques culturelles devraient traduire une vision évolutive de la culture qui se reflète dans la structure des institutions qui en ont la charge. La transversalité de la culture doit également être prise en compte afin de la nourrir des évolutions majeures opérées sur des sujets de société, dans le domaine économique, etc. Le caractère participatif et inclusif de la culture doit être renforcé pour bénéficier de la contribution du plus grand nombre d’acteurs institutionnels, de la société civile et du secteur privé et, en retour, faire bénéficier un plus grand nombre d’acteurs du développement de l’apport de la culture. La diversification du financement de la culture s’en retrouverait renforcée et l’intérêt pour l’ensemble des maillons de la chaîne de la création accru. La prise en compte de la diversité culturelle dans les politiques culturelles assurerait la sauvegarde des formes patrimoniales les plus menacées et les expressions artistiques présentant une faible valeur marchande. La coopération internationale, la formation et la recherche devraient être parties intégrantes de toute politique culturelle durable. Enfin, nulle politique culturelle ne saurait être efficace sur le long terme sans des mécanismes d’évaluation et de suivi adaptés et solides.
La crise sanitaire engendrée par la pandémie due à la Covid-19 a un impact majeur sur le monde de la culture. Au printemps 2020, pas moins de 128 pays avaient fermé l’ensemble de leurs institutions culturelles. Une large consultation menée par l’UNESCO a permis d’établir que 90 % des pays dans le monde ont partiellement ou totalement fermé leurs sites du Patrimoine mondial et que 90 % des 95 000 musées du monde (60 % de musées en plus entre 2012 et 2020) étaient fermés, plus de 10 % d’entre eux étant probablement condamnés à ne jamais rouvrir. Bien que le secteur muséal ait rapidement réagi à la crise en développant du contenu numérique, cette action n’a pas été possible pour la plupart des musées situés dans les pays en développement (par exemple, seuls 5 % des musées d’Afrique et des petits États insulaires en développement y sont parvenus). Tandis que les annulations d’évènements culturels se sont multipliées de façon exponentielle, l’industrie du film a enregistré 7 milliards de dollars des E.E.U. Les sites archéologiques se sont retrouvés exposés à un risque accru de pillage et la vente en ligne de biens culturels issus du trafic illicite a augmenté de façon significative.
Bien que le secteur muséal ait rapidement réagi à la crise en développant du contenu numérique, cette action n’a pas été possible pour la plupart des musées situés dans les pays en développement
La crise sanitaire a également mis en exergue un paradoxe existant entre l’importance, pour les pays, de la culture dans la définition et la valorisation de leur histoire et l’absence de la culture des politiques et stratégies de développement. En effet, la culture et le patrimoine sont la base de la communication et de la mise en valeur de l’identité nationale aussi bien dans le cadre des relations internationales telles que les visites d’État que dans les stratégies de promotion touristique. Ce paradoxe a de multiples raisons dont le fait que la culture demeure encore souvent un poste de dépense publique et n’est pas encore envisagée comme un secteur d’investissement à part entière. Ce changement de paradigme est le préalable indispensable à l’élaboration d’une politique culturelle qui traduirait une vision quant à la place de la culture dans le développement durable.
Au Maghreb, le secteur de la culture a été durement touché par la crise à l’instar de nombreuses autres régions du monde. Cependant, certaines des mesures prises par les pays ont montré qu’une prise de conscience de l’importance de la culture pour la société n’était pas un lointain objectif mais une réalité amenée à s’affirmer de plus en plus. Cette tendance s’exprimait déjà depuis quelques années avec une augmentation constante du budget alloué à la culture, malgré des contextes économiques successifs difficiles depuis la crise mondiale de 2008. Malgré l’aspiration légitime des acteurs de la culture à une augmentation plus significative de ces budgets, cela constituait tout de même un indicateur intéressant. Pour répondre à l’impact de la crise sanitaire, des conférences en ligne ont été organisées sur des thèmes liés à la culture et au patrimoine, amenant ainsi ces sujets dans les foyers via Internet et les chaînes de télévision. Certains festivals de musique et de cinéma ont pu « migrer » vers des représentations en ligne et du contenu virtuel a été développé pour préserver un accès, même limité, à la connaissance que représentent les biens patrimoniaux. Certains pays ont mis en place des mesures financières pour soutenir les acteurs de la culture à travers la création de fonds pour relancer la culture ou le lancement d’appels à projets culturels et artistiques adaptés au contexte de la crise sanitaire. L’arrêt forcé des activités culturelles a en outre été mis à profit pour engager des réflexions de fonds sur des thèmes clefs tels que la mise à niveau des musées et la numérisation de leur contenu ou encore le renforcement du cadre juridique et institutionnel en lien avec les sujets comme le statut de l’artiste ou les droits d’auteur et droits voisins.
En conclusion, il est important de noter que le regard que portent les acteurs du développement sur la culture a évolué de façon significative au cours des dernières décennies. Cette évolution est le fruit du plaidoyer porté par des institutions internationales et régionales qui ont mis leur expérience et leur longue pratique au service du débat nécessaire quant à la définition de ce qu’est la culture et à sa place dans toute société aspirant à assurer un développement équitable et juste à tout un chacun. Le changement de regard porté sur la culture fait que celle-ci devient une composante incontournable du moteur de développement et non un ingrédient ajouté a posteriori. Elle devient dès lors un thème transversal qui touche de nombreux domaines comme l’éducation, la santé, le logement, la protection de l’environnement, le transport, la gestion des ressources hydrauliques, etc. Ainsi la culture bénéficierait non plus de l’action de l’institution nationale « chargée » de la culture, mais des actions des institutions nationales « concernées » par la culture.
Notes
[1] Les idées et opinions exprimées dans l’article sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement le point de vue de l’UNESCO.