Accélérer la transition énergétique au sud et à l’est de la Méditerranée: facteurs clés et défis

12 November 2021 | Focus | French

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Introduction

Carrefour de trois continents, c’est autour de la Méditerranée que sont nées et se sont épanouies certaines des plus belles civilisations du globe. La région connaît des mutations profondes depuis quelques années et celles-ci ont un impact parfois bien au-delà de la région.

La Méditerranée s’illustre également par de multiples fragilités et doit faire face à plusieurs défis. Les inégalités entre le Nord et le Sud et entre pays se creusent dans plusieurs domaines, y compris dans le domaine énergétique et surtout technologique. La région doit aussi faire face à sa forte fragilité environnementale. Bien qu’elle ne soit pas l’un des principaux émetteurs des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, elle est particulièrement vulnérable au changement climatique. Avec les pays qui la bordent, la Méditerranée figure en effet parmi les « hot-spots » mondiaux du changement climatique. D’autre part, les besoins en eau de la région augmentent, avec des ressources qui sont dès aujourd’hui insuffisantes. Il s’agit là d’une bataille globale, et la Méditerranée n’est pas en reste. La transition énergétique vers des économies fortement décarbonées devient dans ce contexte une obligation surtout en Méditerranée. Mais la résolution de cette équation n’est pas si simple.

En 2018, la « Méditerranée », compte une population de 550 millions d’habitants et représente 7% de la population mondiale, 7% de la demande énergétique globale, ainsi que 7% du PIB mondial. En termes d’émissions de CO2, la Méditerranée représente 6% des émissions mondiales. Dans la suite de cet article, nous présentons les perspectives énergétiques et enjeux en Méditerranée telles que illustrés dans le Mediterranean Energy Perspectives (MEP) de l’Observatoire méditerranéen de l’Energie (OME).

Le MEP couvre 26 pays de la région euro-méditerranéenne et présente des scénarios d’offre et de demande énergétiques à l’horizon 2050. L’ouvrage inclut également les impacts que la pandémie de la Covid-19 a eu sur la région en 2020 et 2021, et considère trois scénarios :

  • un scénario de référence ou laissez-faire,
  • un scénario proactif, et
  • un scénario nommé « Near Zero Carbon » ou ProMed, qui a été développé pour la première fois dans cette édition du MEP, dans le cadre des travaux des plateformes énergie de l’Union pour la Méditerranée, avec le soutien de la Commission européenne.

Seuls les scénarios de référence et ProMed seront illustrés dans ce papier.

Tendances démographiques, économiques contrastées

Les projections à l’horizon 2050 annoncent des tendances intrarégionales assez fortes et contrastées en Méditerranée. En effet, face à une baisse démographique attendue au Nord, il y est prévu une augmentation de la population de presque 150 millions d’habitants au Sud, dont la moitié en Egypte et Turquie. De même, les tendances économiques prévoient une accélération de la richesse dans la rive Sud, dont le PIB devrait représenter plus de 60% du total régional en 2050. Ces indicateurs, exogènes dans le modèle OME, ont des implications directes sur les tendances énergétiques régionales dans les trois prochaines décennies.

La demande énergétique sera tirée par le Sud et l’Est méditerranéen

Figure 1. : Demande énergétique par région

Source : OME, 2021

Comme l’illustre la figure 1, l’évolution attendue de la demande énergétique au Nord et au Sud montre une baisse considérable de la demande énergétique dans les pays du Nord, contre une augmentation importante dans la région sud-est. Ces tendances sont plus marquées dans le scénario « laissez faire » ou de référence, tandis que le scénario « Near Zero Carbon » ou ProMed présente des différences moins accentuées entre les deux régions. En effet, le scénario ProMed envisage de fortes interventions dans le domaine de l’efficacité énergétique et une impulsion des énergies propres dans tous les secteurs d’activités, avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone dans les pays membres de l’Union Européenne à l’horizon 2050, et en 2060 pour la plupart des pays du reste de la Méditerranée. En conséquence, la croissance de la demande énergétique dans la rive sud reste beaucoup plus modérée en comparaison au scénario de référence (+21% contre 111%).

La transition énergétique est en marche et ses vertus sont multiples

Les scénarios de l’OME montrent que la transition énergétique en Méditerranée se fonde sur une importante réduction de combustibles fossiles, en particulier le charbon – qui vient presque à disparaitre à l’horizon 2050, et le pétrole, dont l’utilisation se concentre de façon prépondérante dans les transports, en particulier au Sud. La transition énergétique s’accélère donc et les retombées des nouvelles stratégies de l’UE en particulier et celle au niveau euro-méditerranéen en général frappent essentiellement la demande de combustibles fossiles.

Le gaz reste néanmoins important dans le mix énergétique méditerranéen avec 227 Mtoe en 2050 (dont 187 Mtoe au Sud) même dans le scénario ProMed, qui toutefois intègre un pourcentage assez significatif de gaz verts.

Pour mieux analyser les implications d’une transition énergétique sur les émissions de gaz à effet de serre, le graphique ci-dessous met en relation l’évolution du mix énergétique avec les tendances CO2 projetées dans le nord et le sud de la Méditerranée. Force est de constater que l’évolution des émissions de CO2 est remarquable dans les deux régions. Au Nord, plus de 700 millions de tonnes de CO2 seraient économisées sur la période 2018-2050 par rapport au scénario de référence, tandis que l’économie cumulée dans le Sud s’élèverait à plus de 1,2 milliard de tonnes. Cela s’explique par la forte réduction des combustibles fossiles. Comme déjà souligné en effet, le charbon serait presque effacé dans le Nord de la Méditerranée, à l’exception des pays des Balkans où une part mineure serait encore utilisée pour la production d’électricité (2,4 Mtep en 2050), et considérablement réduit dans le Sud avec une utilisation industrielle résiduelle en Égypte (3,6 Mtep) et en Turquie (6,7 Mtep). Le pétrole diminuerait dans le Nord – de 210 Mtep en 2018 à près de 8 Mtep en 2050 ; dans le Sud, il passerait de 160 à près de 90 Mtep, avec une consommation importante pour le transport (60 Mtep en 2050). Une réduction de 60% est envisagée de la consommation de gaz dans le Nord (de 138 à 54 Mtep) alors qu’une augmentation de 13 Mtep est attendue dans le Sud, le gaz naturel étant considéré comme un pont pour accompagner la transition énergétique en remplacement de sources plus polluantes.

Figure 2 : Les vertus de la transition énergétique en Méditerranée

Source : OME, 2021

En ce qui concerne les technologies neutres en carbone, le nucléaire décline au Nord conformément aux politiques d’élimination progressive en Europe. En particulier, l’Espagne prévoit de démanteler ses centrales nucléaires d’ici mi-2030, et la France a annoncé la fermeture de 14 réacteurs d’ici 2035. À l’inverse, une capacité nucléaire devrait être développée sur la rive sud ; l’Égypte, le Maroc, la Jordanie et la Turquie ayant annoncé leur intention d’explorer cette technologie afin de diversifier leur mix énergétique. Pour l’instant, l’Égypte et la Turquie sont les plus avancées dans leurs programmes nucléaires ; un total de 47 Mtep est prévu pour la région du Sud de la Méditerranée en 2050 dans le ProMed. Mais le changement le plus important est attendu pour les technologies d’énergie renouvelable. L’hydroélectricité devrait croître de 11 % en 2018-2050 dans la région nord et de 40 % dans le Sud de la Méditerranée. Les énergies renouvelables non hydroélectriques passeraient de 73 Mtep à 230 Mtep dans le Nord – soit trois fois, et de 23 Mtep à 149 dans le Sud, soit une augmentation de 5,5 fois.

Impact de la Covid-19 sur l’énergie en Méditerranée

A l’horizon 2050, le MEP considère que les impacts de la grave crise sanitaire que nous sommes encore en train de vivre depuis l’année dernière auront été résorbés. Cependant, force est de constater que l’effet sur la demande énergétique a été assez significatif en 2020, avec une réduction estimée à 10% dans le Nord et 7% dans le Sud, bien plus que les crises financières du passé, et en phase avec ce qui a pu être observé à l’échelle mondiale.

Source : OME, 2021

Si on regarde plus en détail l’impact de la pandémie liée à la Covid-19 sur les différentes filières énergétiques, on voit que le seul secteur qui a montré une résilience a été celui des énergies renouvelables, le nucléaire ayant été atteint le plus sévèrement. Malgré tout, cette réduction en particulier dans la consommation de combustibles fossiles risque d’être temporaire si elle ne s’accompagne pas d’une transformation drastique de principaux secteurs économiques vers un plus vaste développement des énergies propres, en particulier dans le secteur des transports. La crise de la Covid-19 pourrait accélérer la transition énergétique, les énergies renouvelables étant la pierre angulaire de la lutte contre le changement climatique.

Les réductions de la consommation de combustibles fossiles dues à la pandémie pourraient néanmoins être temporaires car il n’y a pas de changements structurels dans les systèmes économiques, de transport et énergétiques dus à la Covid-19. Le pétrole et le charbon devant rester à des prix historiquement bas, il y a des risques que l’économie de la production d’énergie recommence à pencher fortement en faveur des combustibles fossiles plutôt que des sources renouvelables.

Même si la Covid-19 devait entraîner des changements durables vers le travail à domicile, la téléconférence et l’éducation en ligne, ce type de réponses sociales ne suffirait pas à lui seul à maintenir les émissions mondiales sur la bonne voie pour rester sous 1,5 degré Celsius de réchauffement au cours de ce siècle.

Face aux enjeux, la transition énergétique en Méditerranée a besoin d’un coup d’accélérateur au-delà du secteur électrique

Si on regarde de plus près les différents secteurs d’utilisation de l’énergie, on constate que le secteur électrique est de loin le plus avancé dans la transition énergétique, tandis que la consommation finale d’énergie est encore dépendante de combustibles fossiles. Il y a donc besoin d’accélérer la transition dans tous les secteurs à travers des mesures ciblées. La reprise économique dans la phase post-Covid doit nécessairement s’accompagner d’une forte attention sur le volet efficacité énergétique et déploiement des technologies propres au-delà du secteur électrique.

Si on prend l’exemple du secteur des transports, on constate que malgré la prépondérance de combustibles fossiles il y a une progressive diversification du mix qui est évidemment plus marquée dans le scénario ProMed, et qui est accompagnée d’une réduction drastique de la consommation finale. Les nouvelles technologies telles que les voitures électriques, les biocarburants, l’hydrogène et les gaz verts faciliteront la progressive élimination du pétrole dans ce secteur d’utilisation encore dépendant de combustibles fossiles aujourd’hui. 

La demande d’électricité augmentera de 78 % d’ici 2050. L’augmentation est de plus de 160% dans le Sud. Les renouvelables atteindront 71% de la génération électrique dans le scénario ProMed. De même, une forte électrification de la consommation finale est attendue à l’horizon 2050, particulièrement dans le Scénario ProMed.

Le secteur méditerranéen de l’électricité est le plus proche de la décarbonisation complète. Le scénario ProMed conduit à une refonte drastique du mix de production d’électricité, en particulier dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Les technologies renouvelables représentent 90% du mix de production en Méditerranée du Nord et plus de 70% dans le Sud.

L’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, vecteurs de la transition énergétique en Méditerranée

En ce qui concerne plus en particulier la capacité renouvelable, force est de constater des différences régionales dans l’évolution prévue de la capacité cumulative par technologie jusqu’à l’horizon 2050. L’hydroélectricité représenterait 15% de la capacité totale de production d’électricité renouvelable du Nord et 10 % du Sud. L’augmentation nette de la capacité serait d’environ 10 GW dans le Nord et de 9 GW dans le Sud. Avec une augmentation de 162 GW dans le Nord et de 167 GW dans le Sud, l’énergie solaire photovoltaïque couvrirait près de 40 % de la capacité d’énergie renouvelable dans les deux régions ; l’énergie éolienne devrait atteindre 251 GW dans le Nord – avec un ajout net de près de 178 GW en 30 ans – et atteindre 182 GW dans le Sud, avec une augmentation nette de 168 GW, ce qui équivaut à un ajout annuel moyen de 5,6 GW par année au cours des 30 prochaines années. Une autre croissance significative est attendue pour le solaire thermique à concentration (CSP), en particulier dans la région du sud de la Méditerranée, où sa capacité devrait approcher les 48 GW avec un changement radical par rapport aux niveaux actuels. Dans le Nord, l’augmentation serait également importante, avec une augmentation nette de 21 GW par rapport aux niveaux d’aujourd’hui. La marée, les vagues et l’océan commenceraient à représenter une part importante de la capacité électrique dans le Nord (avec plus de 3 GW prévus en 2050), mais pas encore dans le Sud. La bioénergie et la géothermie compléteraient le mix électrique renouvelable, couvrant 2% au Nord et au Sud (biomasse et déchets), et 0,4% au Nord et 1% au Sud (géothermie).

Il convient toutefois de souligner que le tableau décrit est susceptible de changer à la suite des nouveaux plans nationaux en matière d’énergie et climat attendus, qui détailleront les trajectoires des États membres vers la neutralité carbone, et seront mis à jour en conséquence dès que les plans pour tous les pays du Nord de la Méditerranée de l’UE seront dévoilés et que de nouvelles mesures seront prises par les autres pays méditerranéens.

On s’attend à ce que les technologies qui joueront un rôle pivot soient tous les « combustibles verts » avancés (hydrogène et biométhane) et le stockage sur batterie pour compenser l’intermittence des ER et réduire la dépendance aux fossiles.

La voie vers une économie neutre en carbone exige une action conjointe dans plusieurs domaines stratégiques, la priorité étant accordée à l’efficacité énergétique; une plus grande diversification des sources d’énergie; une augmentation de l’électrification; le renforcement et la modernisation des infrastructures; le développement des interconnexions; la stabilité du marché et l’investissement; reconfiguration et informatisation du marché; la digitalisation, incitations à l’investissement et à l’innovation; la promotion de procédés, de produits et de services à faibles émissions de carbone; et l’amélioration des services énergétiques et des choix éclairés pour les consommateurs. Les principaux moteurs de la réduction des émissions de CO2 seraient l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.

L’efficacité énergétique par la réduction de la demande et en particulier l’électrification des utilisations finales afin de réduire la dépendance aux combustibles fossiles pourrait représenter 49 % de la différence entre les émissions de CO2 et le scénario de référence en 2050. L’énergie renouvelable remplaçant l’utilisation de combustibles fossiles, en particulier dans la production d’électricité, contribuerait à la baisse des émissions de CO2 de 39%. Cependant, ces deux facteurs ne seraient pas suffisants pour atteindre l’objectif, car une partie de l’utilisation de combustibles fossiles n’est pas déplaçable. Les combustibles fossiles auront encore un rôle à jouer en 2050. Pour atténuer leur impact sur le changement climatique, deux pistes : d’une part, les carburants synthétiques, notamment le biométhane et l’hydrogène Les carburants synthétiques – gaz verts – pourraient contribuer à réduire les émissions de 4% et les technologies de capture du carbone pourraient aider à réduire les émissions de CO2 de près de 10% en 2050 ; d’autre part, la séquestration du carbone est prête à jouer un rôle dans un avenir neutre en carbone. L’utilisation/le stockage du carbone (CCUS) aiderait à séquestrer près de 200 Mt d’émissions de CO2 en 2050.

La transition énergétique en Méditerranée au service de la sécurité en plus de la lutte contre le changement climatique

Un autre aspect qui est essentiel au-delà des considérations environnementales et climatiques est aussi la réduction de la dépendance énergétique de la région, qui a atteint un niveau assez élevé : 39% en moyenne pour la région, 58% pour la partie Nord. Il est à signaler que même des pays du Sud traditionnellement exportateurs nets d’énergie sont devenus importateurs. La transition énergétique permettra à la région méditerranéenne de réduire sensiblement sa dépendance énergétique et aux pays producteurs d’avoir plus de revenus grâce à une diminution de la demande interne.

En conclusion, il est évident que les politiques actuelles (scénario de référence) ne permettront pas de réduire de façon significative la demande énergétique encore très axée sur les combustibles fossiles et par conséquent les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle régionale. En plus du risque climatique, il y a différents enjeux à discuter. Notamment, la dépendance énergétique de la région et les contraintes qu’elle exerce déjà actuellement sur la région. Se remettre de la Covid-19 et éviter les chocs futurs graves déclenchés par la crise climatique ne représentent pas des intérêts contradictoires, mais plutôt une stratégie d’adaptation qui se renforce mutuellement pour assurer la reprise économique à court terme et pour construire des économies et des systèmes de santé résilients à long terme. La crise de la Covid-19 semble mettre davantage l’accent sur la mise en œuvre de technologies propres et le soutien de projets visant à accroître la résilience climatique.

Le Pacte vert pour l’Europe représente un modèle inspirant pour les pays voisins, mais seul un pacte vert euro-méditerranéen peut insuffler le changement de rythme nécessaire avec une coopération régionale essentielle pour soutenir une transition énergétique juste et efficace, et l’échange de bonnes pratiques et de savoir-faire. Toutes les technologies et politiques seront nécessaires pour réduire efficacement les émissions de CO2.